Deux traileurs de la région racontent leur « TOR des géants »

Deux traileurs de la région racontent leur « TOR des géants »

Le genassien Eric Olivieri et son cousin isérois Jean-Baptiste Nicaise ont bouclé les 326 km et 24.000 mètres de D+, de ce mythique ultra-trail dans la Vallée d'Aoste.

Petite présentation de ces 2 finishers :

Jean-Baptiste Nicaise

Depuis quand faites vous du trail et êtes vous dans un club ?  » J’ai débuté le trail en 2009 et je suis en club depuis 2019 (Foulée de Varces-Vif, F2V) « .

Vous avez déjà couru le TOR 330, pourquoi y revenir ?  » 146 heures en 2021 avec la frustration de n’avoir pas pu pleinement profiter de la course du fait d’une vilaine brûlure à la jambe. Qui plus est, le souvenir d’une ambiance magnifique avec les coureurs et avec les bénévoles « .

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Eric Olivieri

Voir article d’avant course : https://newsestlyonnais.fr/site/2022/09/08/eric-olivieri-partir-pour-un-si-long-periple-cest-un-peu-linconnu/

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Interview croisée des traileurs qui ont bien mérité le tee-shirt de finishers ! (Photo à la une)

Dans quel état mental et physique avez-vous pris le départ ?

JB. N. :  » J’oscillais avant le départ entre impatience après ces longs mois de préparation et inquiétude sur mon état physique. Impatience de retrouver plusieurs connaissances inscrites sur la course : Eric bien sûr mais aussi François avec lequel j’avais parcouru toute la première moitié du parcours en 2021 jusqu’à ce qu’il se fasse une entorse à Niel. C’était à l’époque son deuxième Tor et il m’avait fait bénéficier de son expérience. Et aussi Sébastien avec qui j’avais terminé l’Echappée Belle en 2018 et avec lequel j’étais resté depuis en contact. Et encore Mario, médecin sur le Tor en 2021, qui m’avait soigné et soutenu lors de mon passage dans les bases vies et qui avait décidé cette année de quitter l’organisation pour participer à la course.

En 2021, je m’étais versé une casserole d’eau bouillante sur la jambe droite la veille du départ. La brûlure au deuxième degré qui en avait résulté m’avait handicapé physiquement sur tout le parcours que j’avais dû réaliser en boitant. En même temps cet événement avait été un électrochoc mental : hors de question de ne pas terminer la course à cause de cette bêtise ! J’avais trouvé l’épreuve très éprouvante et ma première phrase à l’attention de ma compagne à l’arrivée avait été : « Rappelle-moi bien de ne plus jamais m’inscrire à ce format de course ! ».  Mais quelques semaines plus tard cette phrase était oubliée. Le Tor 2022 s’imposait…il fallait que je refasse la course dans de bonnes conditions physiques pour mieux profiter de cette course mythique. Malheureusement l’entraînement a été émaillé de quelques blessures et j’ai dû les écourter plus rapidement que prévu début août après avoir déclenché une aponévrosite sous mon pied gauche. J’avais également quelques inquiétudes pour mon genou droit qui craquait à chaque mouvement bien que ce phénomène ne soit aucunement douloureux contrairement à mes douleurs plantaires. Bref j’étais motivé mais la confiance n’était pas très élevée » .

E.O. :  » Physiquement je me sentais bien. Certes je ne m’étais pas entraîné autant que j’aurais voulu mais je pense que j’avais compensé par une meilleure qualité d’entraînement. Mentalement, j’avais hâte de me confronter à cette course  » .


Comment s’est passé cette course ?

JB. N. : » Ce que j’aime dans ces courses de longue durée c’est qu’il s’y passe beaucoup de choses. Les bons et les mauvais moments se succèdent. Quand on se sent bien, il ne faut pas s’emballer, quand on pense que tout est terminé, il ne faut jamais cesser d’y croire…Dès le 35° kilomètre j’ai commencé à ressentir des douleurs aux genoux dans les descentes. Au bivouac Promoud, j’ai très longuement hésité à abandonner. C’est la lecture des messages de mon groupe Whatsapp qui m’a empêcher de craquer. Je ne pouvais pas décevoir mes suiveurs ! Un de mes amis s’est blessé vers le 100° kilomètre et je l’ai retrouvé dans un triste état au refuge Vittorio Sella. J’étais prêt encore une fois à quitter la course pour rester à ses côtés jusqu’à son évacuation mais il m’a rassuré et m’a encouragé à repartir. La descente du col de Champorcher jusqu’à Donnas que j’appréhendais pour sa longueur s’est excessivement bien passée, j’ai pu courir et gagner beaucoup de temps sur les barrières horaires malheureusement à l’arrivée à Donnas où je comptais me reposer le dortoir était plein et je me suis résigné à repartir sans dormir. Entre Sassa et le rifugio della Barma, j’ai vécu un petit enfer…luttant à chaque pas contre l’endormissement. C’est la compagnie d’Andrea, un italien parlant parfaitement français, qui m’a permis d’atteindre ce dernier refuge où j’ai pu enfin récupérer une petite heure de sommeil. Sur la fin du parcours, cette situation se reproduit régulièrement avec le déficit cumulé de sommeil, il est important de ne pas rester seul et de se maintenir éveillé en discutant avec les autres coureurs.

Un orage m’a surpris dans un passage difficile de la descente du col Pinter mais heureusement trop bref et sans autre conséquence que de me pousser à accélérer pour rejoindre Champoluc. A Valtournenche j’ai fait la connaissance d’Olivier avec lequel j’ai collaboré jusqu’à l’arrivée. Nous avons eu une nuit un peu difficile entre le rifugio Magia et bivouac Clermont et puis c’est ensemble que nous avons franchi le col de Malatra en pleine tempête de neige ! « 

E.O. :  » Ça s’est très bien passé dès le début. J’ai réussi à trouver un rythme régulier que j’ai gardé jusqu’à la fin, courant dès que le terrain était plat ou en descente.

La course était découpée en 7 tronçons d’une cinquantaine de kilomètres chacun, qui se terminaient par une base de vie dans laquelle on pouvait se doucher, se faire soigner, se reposer et se restaurer. Ça permettait vraiment de recharger les batteries et partir pour 50 nouveaux kilomètres presque frais ! »


La météo a-t-elle été idéale pour vous ?

JB. N. :  » Oui la météo a été très clémente à mon égard. Je redoute les fortes chaleurs et nous avons eu une première partie de course ensoleillée mais pas trop chaude. Cette météo a permis d’apprécier les cimes enneigées des “Géants” environnants (Mont Blanc, Rutor, Grand Paradis, Mont Rose, Cervin). J’ai échappé aux orages. La fin de course a souvent été plus fraîche voire franchement glaciale notamment lors de la descente finale sur Courmayeur. Ces variations météorologiques ne sont pas toujours agréables mais elles contribuent à donner du relief à la course » .
E.O. :  » Nous sommes partis sous un grand soleil, ensuite il faisait un peu frais en altitude, et même froid la nuit (on avait des températures négatives vers 3.000 m) mais ce sont des conditions que j’apprécie, et l’important c’était que le sol reste sec.

Puis iI y a eu une nuit avec de la brume et de la pluie qui n’a pas été simple à gérer, on n’y voyait pas à 1 m et le terrain était glissant, il fallait être prudent. Heureusement au petit matin le beau temps est revenu.

Brusquement la neige s’est mise à tomber la dernière nuit, obligeant l’organisation à arrêter la course et brisant le rêve d’environ 200 coureurs qui n’ont pas pu atteindre Courmayeur. Heureusement, en ce qui me concerne, j’étais déjà arrivé  » .


Comment vous sentez vous à présent, satisfaction ou déception ?

JB. N. :  » Je suis satisfait. Je suis arrivé 6 heures plus tôt que l’an passé. Mais surtout j’ai fait des rencontres fortes avec plusieurs coureurs, j’ai vécu des moments inoubliables et une grande aventure. Côté déception, de manière un peu anecdotique je dirais que j’aurais rêvé de faire le parcours en moins de 130 heures ce qui m’aurait ouvert la porte de l’inscription au Tor des Glaciers (450 km) en 2023″ .

E.O. :  » Je suis très satisfait. Je ne savais pas trop si j’allais finir et si oui, dans quel état. Au final tout s’est bien passé, j’ai vraiment pu profiter de la course, des paysages grandioses, de la gentillesse des gens tout au long du parcours.

Physiquement, j’ai attrapé quelques ampoules mais grâce à l’intervention des podologues sur les bases de vie, ça ne m’a pas du tout gêné. Le plus compliqué aura été la gestion du sommeil, mais au final ça c’est plutôt bien passé, j’ai réussi à anticiper et dormir un peu avant l’apparition des fameuses hallucinations auxquelles tant de coureurs sont sujets.

Satisfait également car avec mon cousin Jean-Baptiste nous avons tous les deux réussi à terminer la course.

Enfin la satisfaction est totale car j’espérais réaliser moins de 130 heures pour me donner la possibilité de m’inscrire au TOR des glaciers (450 km, 32.000 D+, pas de balisage), chose faite avec un temps total d’un peu moins de 119 heures «  .


Et maintenant au programme, récupération bien entendu et ensuite ?  

JB. N.:  » Repos, repos, repos…et dans quelques semaines reprises des entraînements avec mon club avant inéluctablement de replonger le nez dans les projets d’ultra-trails…  »

E.O. :  » Peut-être un dernier ultra pour finir l’année, par exemple l’Endurance Trail dans les Causses, dans le cadre du Festival des Templiers ».


Dans votre agenda sportif de 2023 ?

JB. N.:  » Rien de prévu à ce jour. Il y a des courses mythiques auxquelles je souhaiterais participer (UTMB et Diagonale des Fous) mais je cherche aussi des trails plus exotiques et moins connus (Islande, Açores,…) « .

E.O. :  » J’aime bien découvrir de nouvelles régions du monde, alors peut être l’ultra trail du Mont Fuji au Japon. Et puis pourquoi pas tenter le TOR des Glaciers, ce serait à nouveau un sacré défi : cette année, seulement 40 % des partants sont arrivés au bout » .


Et pour conclure une ou deux anecdotes ?

JB. N. :  » Lors de la deuxième nuit, je franchis avec François le Col Lauson. Nous passons avec prudence une zone câblée en tête d’un versant abrupte. Un cri descend du col situé quelques dizaines de mètres plus haut. Un coureur a chuté. François demande à l’auteur de l’appel s’il faut prévenir les secours. Après quelques dizaines de secondes, on nous répond qu’a priori non, tout va bien. Nous poursuivons notre descente dans le raide versant jusqu’au refuge Vittorio Sella. Je m’y arrête pour manger et peut-être dormir. François préfère poursuivre la descente. Je vois arriver Sébastien, méconnaissable, c’est lui qui a chuté au col. Il est tombé crâne contre les rochers. Il a perdu connaissance quelques secondes après la chute. Il se plaint de troubles de la vision, de douleurs à la mâchoire et de maux de tête. Une équipe médicale est en route pour le refuge, je la croiserai dans la descente. Je reste à ses côtés un long moment jusqu’à ce que le refuge lui mette à disposition une couchette. Il m’encourage à repartir et je quitte finalement le refuge. Il sera évacué par hélicoptère le lendemain matin, passera une journée complète en observation à l’hôpital. Il s’en tirera finalement avec un traumatisme crânien et une grosse peur rétrospective.

Lors de la dernière nuit (vendredi à samedi), à l’arrivée à Saint-Rhémy-en-Bosses, je discute avec le commissaire de course qui me prévient que de faibles chutes de neige sont annoncées au col Malatra mais qu’il n’y aurait aucun souci pour passer le col. Un guide de haute montagne serait présent au col pour faciliter le transit des coureurs sur le passage un peu technique équipé de câbles. A l’arrivée au refuge Frassati, dernier refuge avant le col, il y avait quelques centimètres de neige au sol, un vent fort et les coureurs s’accumulaient dans le confortable refuge. Avec Olivier, mon coéquipier du moment, nous avons pressenti que pour passer le col il fallait repartir illico. Nous avons donc signalé notre départ au contrôleur de course du refuge et nous avons filé pour profiter de l’épaisseur de neige encore faible. Une vingtaine de coureurs nous a emboité le pas par la suite. Je savais que le seul point délicat serait le passage de la petite brèche sommitale localement équipée de câbles mais avec l’appui du guide de haute montagne présent sur place, nous partions plutôt rassurés. L’itinéraire plutôt facile et des balises de course toutes bien visibles malgré les tourbillons de neige, nous ont permis d’atteindre assez rapidement la brèche. Qui plus est la neige froide permettait une relativement bonne adhérence. Par contre aucun guide au col. J’ai crié à plusieurs reprises sans réponse. Nous avons donc prudemment suivi les lignes de vie sur les quelques courtes petites vires sans trop de difficultés. Sur le versant ouest, non équipé, il a fallu descendre prudemment les quelques premiers mètres les plus pentus pour retrouver la trace du sentier. S’en est suivie la très longue descente sur Courmayeur dans les bourrasques de neige, tout en dosage entre vitesse pour ne pas s’éterniser dans le froid et en lenteur pour éviter toute glissade qui aurait pu conduire à une blessure » .

E.O. :  » Je suis un des rares concurrents à avoir franchi un col de plus ! Je me suis en effet trompé en suivant le balisage et je me suis rajouté 2 heures supplémentaires de course pour retrouver mon chemin.

Sinon j’ai vécu un moment magique en pleine nuit, lorsque pas très loin de moi des loups se sont mis à hurler à la lune »





 + d’infos sur le Tor des Géants

 

 

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